Apollinaire - L'émigrant de Landor Road -
*** Etude d'un membre du forum
Commande d'un entretien
lntroduction
- Le theme de l'angleterre est un theme central dans Alcools. << I'emigrant... » a été écrit entre 1904 et 1905 et s’inspire du second voyage d’Apollinaire ä Londres en mai 1904.A cette époque son amie Annie Playden, avec qui il a eu une liaison lorsqu’il se trouvait en Allemagne, est retourne vivre chez elle en Angleterre. C’est parce qu’elle a decide d’emigrer en Amerique que le poete la rejoint, esperant sans doute parvenir ä une recontiliation. Le texte reste empreint de cet echec amoureux.
- Le texte est publie fin 1905 mais en 1906 i1 sera reecrit successivement en prose puis ä nouveau en vers. il s’agit d’un poeme post-symboliste qui mele un recit humoristique et bizarre à une description
plus nostalgique.
l) Recit d’un poete déraciné
1 Structure du texte : c'’est un recit
- Composition relativement reguliere du texte : 13 5 composees le plus souvent d'alexandrins sauf le
vers 10 un octosyliabe
et 1a ä 6 composée d’hexasyllabes‚ (seules les 5 8, 11, 12 sont irrégulières mais elles sont en dehors
de notre étude).V.9-10 << Mon bateau partira demain pour l’Amérique
Et je ne reviendrai jamais »
- Le recit de ce départ se fait tantôt à la troisième personne v.1 << Le chapeau à la main il entra du pied droit >> tantôt à la première personne v.9 << Mon bateau partira demain pour l’Amerique >> ) quand il s‘agit d’un monologue intérieur. Ceci contribue à la complexité du texte mais rend aussi le narrateur plus distant du lecteur. On note une sorte de détachement du poete qui est tantôt auteur tantôt observateur dans cette double perspective révélatrice des recherches esthétiques du simultaneisme.
2 Éléments de vie d’Apollinaire
- Le titre est en soi une reference explicite à la vie d'apollinaire. En effet, Landor Road est la rue dans laquelle vivait Annie
Ce qui signifie qu’elle a pour le poete une connotation sentimentale : v. 12 « guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais ».
- Une autre reference directe ä la vie du poete se trouve dans le portrait d’un « emigrant ». Ce n’est
certes pas Apollinaire qui part pour l'Amerique en cette annee 1904, mais Annie Playden sans doute
pour échapper au poete. Lui-même a-t-il pense a la suivre
- Apollinaire fait également reference dans le texte a son activite de poete qui doit lui permettre
d'envisager son départ : v. 11
« Avec l'argent gagne’ dans 1es prairies lyriques >> << Les boursiers ont vendu tous mes crachats d’or fin ». Ce qui est notable, c'est que le poete associe ä cette activite poétique « prairies lyriques >> et << fin » (=> quelques vers précieux) une connotation financiere << l'argent gagne »‚ « les boursiers
», << crachat d’or fin >> . On retrouve ici un des traits de
la modernité du recueil qui fait regulierement reference a l’argent‚
- D’une manière plus large on note dans le texte des elements de la vie anglaise que le poete a relevés. Ainsi fait-il dans 1e v.2 << chez un tailleur tres chic fournisseur du roi >> reference a la vie londonienne, (peut-être Harrocfs oü s‘habille la famille royale ou encore une boutique sur Band Street) ou bien encore evoque-t-il un « lord
>> au v.19.
3 La solitude
- C’est le sentiment qui domine le texte un emigrant apparait seul au milieu de la faule : v.5 et 6.
expression « des ombres sans amour » V.6 dénote une deshumanisation tandis que le verbe « se
trainait » v.6 renforce le trait négatif.
L'ensemble renvoie a la froideur de la foule mais aussi des << mannequins >> du v.4.
' Noye dans une foule indifférente, l'emigrant se trouve confronte à une impression de confusion. Ceci est renforce dans la v.5‚ par une alliteration en m << remuait en melant », ainsi que dans les vers 6„ 7, 8 par l'emploi à trois reprises de l'article indefini << des » : « des ombres...des mains... des oiseaux ».
- C’est aussi le Sentiment de solitude qui pousse le poete à faire part de son regret du passe. A ce
sujet l'ensemble de la v6 est évocatrice de cette nostalgie : v.21/24 « Au dehors les années
[.. .] passaient enchainées >>.
Il) Un voyage placé sous de mauvais augures
1 Un humour dérangeant
- Le texte par moments fait preuve d’un certain humour pour le moins surprenant, qui n’est pas sans rappeler le << nonsense »anglais. Ainsi aux v. 3, 4, 17 et 18 la référence à des mannequins décapités ne manque pas de surprendre par son aspect
saugrenu et de mauvais goût [même si le thème est récurrent dans le recueil cf. : <4 soleil cou coupé » à la fin de << Zone].
Noter au v. 17/18 l'allitération en quelque peu comique phonétiquement‘ Le burlesque apparaît aussi dans l'évocation de superstitions, comme celle du vers 1 «il entra du pied droit »‘
Supposé porter chance, cette précaution semble dérisoire par rapport à tous les signes négatifs dans la suite du poème.
2 - Un départ définitif
' Le poème évoque un décor maritime t v.8 « comme des oiseaux blancs » et plus particulièrement le départ des migrants vers l’Amérique : v.9. Le nouveau continent est présent également dans la première partie de ce texte avec une évocation exotique au v.l6 << pleins d’oiseaux muets et de singes ».
- Le départ du personnage est clairement annoncé comme définitif: v.10 « Et je ne reviendrai jamais ». Le vers 13 à ce propos peut sembler plus obscur « Car revenir c’est bon pour un soldat des Indes ». On peut supposer cependant qu’Apollinaire fait allusion ici à un poème de l'écrivain anglais Rudyard Kipling intitulé « Mandalay » et qui était paru en 1904 dans la revue Les soirées de Paris (et dont Apollinaire s’occupait). Ce départ est espéré comme un renouvellement total de l'être, une régénération (cf. thème du phœnix) : « mais habillé de neuf» v.15. Il semble que le décor l’incite au départ comme par exemple cette foule indifférente qui lance des sortes de signes d’adieu : '
v.7/8 « Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière
S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs »
On note d’ailleurs que, dans ces deux vers, les présages sont encourageants de par les connotations positives de << ciel », «lumière », << oiseaux blancs » ce qui ne sera plus du tout le cas dans le reste du poème3! Les présages de mort
- On relève dans le texte de nombreux signes avant-coureurs qui présagent la mort du personnage. Ainsi au v.l9 est-il
amené à porter les vêtements d’un mort
s En fait dès le début le champ lexical renvoie à la mort dans l'évocation :
- De la ville et de son activité :
v.3 « couper quelques têtes » ; v.23 « les mannequins victimes »
4: références morbides, même si elles sont par leur excès empreintes d’un certain humour.
- Dans l'expression de la solitude et du manque :
v.6 « des ombres sans amour » ; v.l2 « mon ombre aveugle »
<=> l'ombre est un euphémisme pour désigner un mort et l’on note que le personnage semble déjà privé de ses sens : «aveugle ».
Dans la description d’un exotisme morne ou inquiétant : v.16 « pleins d’oiseaux muets » 4=> même les merveilles du nouveau continent ne peuvent apaiser l'inquiétude et là aussi les oiseaux souffrent d’un manque de mauvais augure.
‘ Ce départ n’est donc pas celui auquel le poète pourrait s’attendre et les nombreux signes funèbres contrebalancent les quelques notes d’espoir contenues dans la première partie du poème. La fin de celui-ci ne fera que confirmer le mauvais présage comme on le voit très clairement dans les deux derniers vers :« Des cadavres de jour rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments »
Conclusion -
Nous sommes en présence d’un poème à tonalité mixte, ll mêle les éléments amusants ou bizarres à d’autres beaucoup plus
mélancoliques. Le pressentiment négatif du poète se trouve accentue’ par la douleur de l'amoureux esseulé.
- Ce poème quoique moderne sur bien des aspects reste assez classique dans son écriture. Le texte est le plus souvent rime,
généralement composé d’alexandrin réguliers aux hémistiches.
- La modernité du texte se trouve donc davantage dans la thématique et dans l'évocation surprenante de certaines images.
Apollinaire transpose d’une certaine façon l'échec amoureux en échec d’un départ.
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